Les militants qui ont investi des logements inoccupés pour y installer des demandeurs d'asile sans abri sont assignés devant la justice et doivent comparaître le 14 février. Plusieurs dizaines de personnes se relaient devant le second lieu après une rencontre houleuse avec le propriétaire.

 
 
 
 

Un mois après qu'un premier squat a été investi par des jeunes Bisontins pour abriter des migrants à la rue, voici que ces derniers recommencent. Mi janvier, ils ont investi un petit immeuble ancien de la rue de l'Industrie, près de la gare Viotte, comprenant six logements : quatre F1 et deux F2, explique une jeune femme en indiquant que deux de ces appartements abritent huit personnes, après avoir accueilli un temps une famille.

« Ils seraient à la rue s'ils n'étaient pas là. Les logements étaient tous inoccupés quand nous les avons investis », précise-t-elle, « on les a meublés avec des lits, des tables, des canapés, de la vaisselle... Il y a le courant dans un logement, on attend EDF pour le mettre dans un autre ». Ce mercredi 1er février en début d'après-midi, les jeunes militants étaient inquiets car le propriétaire est venu mardi soir : « il est entré par effraction, a cassé la serrure et dit qu'il était chez lui. On lui a répondu que non... Selon la loi, à partir du moment où on reçoit du courrier, cela devient un domicile. On a fait les actes usuels d'une occupation ».

Les squatteurs n'ont-ils pas tenter de le contacter plus tôt ? « Non, on ne savait pas qui c'était. Maintenant, on sait qui c'est. Mais il n'a pas l'air parti pour discuter... Il est revenu ce mercredi avec des amis, disant qu'il allait appeler la police... » Conséquence, les militants ont rameuté un peu de monde pour protéger le squat. En quelques minutes, plusieurs dizaines de personnes se sont rassemblées, mais à notre arrivée, le propriétaire était parti.

« Il pense qu'il est chez lui, mais il n'y habite pas », souligne la jeune femme, alarmée qu'il puisse revenir pour « tout casser à coup de masse » comme elle dit l'avoir entendu. Un tour de garde a été improvisé. 

Potentiellement tendue, cette situation s'ajoute au conflit né de la première occupation, avenue Denfert-Rochereau. Alors que les squatteurs ont proposé de négocier un bail précaire à l'agence Bersot à qui ils ont envoyé un projet d'accord, la réponse n'a pas été celle qu'ils espéraient : ils sont assignés devant un tribunal bisontin le 14 février !

Pour l'heure, les occupants des deux immeubles ne peuvent pas être expulsés en vertu de la trêve hivernale

Le squat, dernier refuge possible

 Depuis mi-décembre, une dizaine de sans-abri et de migrants sont logés dans un appartement inoccupé du centre-ville. Vendredi, ils ont reçu la visite d’un huissier.

 

Malgré les moulures et le beau parquet, le logement n’est pas franchement luxueux. Les minuscules radiateurs soufflants d’appoint sont parfois l’unique source de chaleur que les occupants peuvent trouver. Pourtant, le squat de l’avenue Denfert-Rochereau est toujours une meilleure alternative que la rue. Surtout lors des épisodes climatiques rudes, comme celui de ces derniers jours.

Ils sont neuf, répartis dans trois chambres, meublées sommairement : matelas souvent au sol, une table, une chaise. Certains sont là depuis quelques semaines, d’autres sont de passage. Tous ont un point commun : ils n’avaient aucune autre solution de logement. Cet appartement de 150 m² n’était plus occupé depuis plus de 7 ans, d’après le collectif Asile Besançon. Oublié à tel point que « la porte n’était même pas verrouillée ». Ils n’ont eu qu’à la pousser, installer quelques matelas obtenus grâce aux dons, et remettre le lieu en ordre pour s’y installer. « Au début, nous avons proposé le squat aux personnes dans la rue. Maintenant, ce sont les migrants eux-mêmes qui proposent aux personnes dans le besoin », explique Adeline.

Parmi les occupants, un jeune Soudanais. Seulement 19 ans et déjà deux années en France, à passer d’un logement précaire à un autre, avec un passage par Calais et un autre par Montbéliard. Sur les murs de l’appartement, des pancartes « interdit de fumer », « respecter le repos des autres », ou un texte, en plusieurs langues, qui explique comment trier ses déchets. Une autre feuille rappelle aussi aux occupants la législation, en cas de tentative d’expulsion intempestive et illégale.

« Les autres habitants de l’immeuble les soutiennent. Ils ont même appelé l’agence pour dire qu’ils ne les dérangeaient pas », affirme une riveraine. Une cohabitation semble-t-il en bonne intelligence, que le collectif souhaite voir durer le plus longtemps possible. Ou en tout cas, le temps de trouver des solutions de logement. Pour absorber les demandes, le collectif affirme avoir ouvert un second lieu d’accueil dans un lieu qu’il préfère garder secret.

 

Des jeunes Bisontins ont ouvert un squatt pour migrants à la rue

 

Mardi 17 janvier 2017 / Daniel Bordür

Ils ne supportaient plus que des familles entières de demandeurs d'asile, fuyant notamment les violences persistantes en Albanie, se voient refuser des hébergements pendant l'instruction de leur dossier. Il y a un mois, ils ont investi un grand appartement vide depuis plusieurs années à deux pas du centre-ville et proposent de signer un bail précaire.

 
 
 
 

Des jeunes Bisontins ont ouvert un squatt pour migrants à la rue
La table du séjour pendant l'entretien...

Une sonnette avec quelques noms, on appuie. Une voix dans l'interphone, on pousse la porte et on grimpe à l'étage indiqué. Camille nous accueille dans le hall vétuste mais en bon état d'un grand appartement bourgeois, inoccupé depuis plus de sept ans. Des câbles électriques courent dans le couloir. On a commencé à refaire l'électricité qui n'était plus aux normes : « ça a été supervisé par un professionnel ».

Camille ouvre la porte de la première pièce, une chambre d'une vingtaine de mètres carrés. Il n'y a personne, mais trois matelas sont posés sur le sol avec draps et couvertures. C'est le « sleeping », destiné à une « occupation non permanente, pour les gens de passage une nuit. Nous essayons d'établir un turn-over ». Deux grands placards ont été spécialisés. L'un est une « zone de gratuité » où sont rangés des vêtements issus de dons. Il y en a assez, mais une affichette liste les autres besoins1 : table à repasser, pantoufles, tringle de rideau de douche, gants, dictionnaire franco-albanais...

Dans l'autre placard, des kits de survie : tentes, matelas et sacs de couchage. Ils peuvent être fournis à des personnes qu'on ne pourrait accueillir et auraient un besoin urgent de se protéger un minimum... Deux autres chambres sont occupées par des demandeurs d'asile, dont une petite famille. Sur les portes, une affichette invite au respect de l'intimité...

Une cuisine modestement équipée avec des dons

Nous voilà dans la cuisine, modestement équipée du minimum : une table, des chaises, une gazinière, un four à micro-ondes... « le réfrigérateur n'est pas encore branché, on attend la câble de la bonne section ». La machine-à-laver est en bonne place. Au dessus des poubelles, des affiches trilingues français-anglais-albanais expliquent les rudiments du tri.

Il y a de la vie dans le squatt ouvert il y a un mois à proximité du Doubs. Ses concepteurs, une dizaine de bénévoles réguliers soutenus par un réseau de quelques dizaines de sympathisants, attendent la visite d'un plombier pour voir si l'on peut remettre en marche le chauffage au gaz, mais ils s'inquiètent de la facture. Pour l'eau chaude, un artisan a vérifié gratuitement l'installation. Les « locataires » peuvent donc prendre une douche !

Les locataires ? Un Congolais, des Albanais, il y a quelques jours un Ukrainien déjà reparti... Autour d'un café, ce jour-là, quatre jeunes Albanais font salon dans les canapés du séjour où le « pôle de chargement de portables » figure en bonne place. Ils nous expliquent pourquoi ils ont quitté le « pays des aigles ». Considéré comme « sûr » par l'Union européenne, c'est pour les défenseurs des droits de l'homme une contrée tenue par des mafieux, nous explique Thierry Lebaupin, du CDDLE de Besançon, que nous sollicitons après le reportage. L’AEDH, EuroMed Droits, et la FIDremettent en cause cette notion de sûreté et soulignent l'existence de violences, de corruption, de cas de tortures...

« Je suis parti pour raisons politiques, c'est compliqué à expliquer, et je ne veux pas détailler mon histoire, c'est dangereux », dit Lili. Marcel est quant à lui en France pour « raisons familiales ». Il ne veut pas non plus « rendre publique [son] histoire ». Costa parle de « combats entre gens [de son] village : j'ai été menacé d'être tué... J'ai peur des conséquences de ce que je vous raconte ». Nous songeons au roman d'Ismail Kadaré Avril brisé, à la vendetta, la loi du Kanun... Mais la conversation, en anglais avec un seul de nos quatre interlocuteurs qui fait la traduction, ne va pas jusque là, évoquant seulement le grand écrivain...

« J'en tant d'espoir ! Pour commencer, résoudre mes problèmes »

Nous expliquons qu'en France la presse est libre. Il répond : « En Albanie, les politiques, députés ou ministres, effraient les journalistes. Les règles sont seulement pour les riches »... Veulent-ils faire leurs vies ici ? La réponse de Lili est enthousiaste : « Yes ! » Cela passe donc par l'apprentissage du français ? « Off course, bien sûr... » Il a effectué une première démarche « dans une église », mais on lui a répondu qu'il n'y avait « rien pour les débutants »... C'est donc partie remise. D'ailleurs, une feuille affiche les horaires des prochains cours, dispensés par des militants, un orthophoniste, bref, « des gens de bonne volonté ». On espère aussi des dons de livres et de matériel éducatif...

Quels sont leurs espoirs ? « J'en ai tant ! Pour commencer, résoudre mes problèmes », dit Lili. Marcel, qui a une vingtaine d'année, veut « finir [ses] études ». Costa veut « apprendre le français ».

Pour l'heure, la première étape est la mise à l'abri. Elle a été rendue plus difficile, si l'on écoute les militants du CDDLE, par la frilosité des pouvoirs publics dont la politique vise notamment à vider les CADA des demandeurs d'asile pour faire de la place aux réfugiés des guerres d'Afrique de l'est et du Moyen-Orient. Une conséquence est l'allongement des délais d'obtention de l'attestation de demandeur d'asile, valant titre de séjour, explique Chantal Lecuyer du CDDLE, avant l'examen de la demande par l'OFPRA.

Cette attestation mentionne notamment si la demande doit être étudiée dans les délais normaux ou, quand l'intéressé est originaire d'un pays officiellement « sûr », accélérée. Or, l'attestation dépend de l'obtention d'un rendez-vous à la préfecture. « Les délais pour obtenir ce rendez-vous sont passés d'une semaine à plus d'un mois. Or, tant qu'ils n'ont pas de rendez-vous, il n'y a pas d'hébergement possible », explique une jeune femme du collectif qui a investi l'appartement inoccupé.